Une révolution s’opère dans les coulisses du crédit hypothécaire et de l’immobilier au Canada. Longtemps chasse gardée masculine, ces secteurs voient désormais les femmes prendre les rênes et redéfinir les règles du jeu.
Teranet a récemment organisé son forum Market Insight 2023 axé sur les femmes dirigeantes. L’événement a réuni des leaders féminins qui ont partagé leurs expériences professionnelles. Elles ont évoqué les obstacles rencontrés et proposé des pistes pour créer un environnement de travail plus accueillant pour les femmes.
Changer la donne au « boys’ club »
Avant de se tourner vers l’immobilier, Linda Wheeler, aujourd’hui courtière chez PSR Brokerage, était une artiste en herbe. Elle étudiait au Conservatoire royal et travaillait sur des bateaux de croisière.
Son père et son grand-père travaillaient tous deux dans le secteur immobilier. Pourtant, à ses débuts, Mme Wheeler peinait à trouver sa place dans ce secteur dominé par les hommes.

« Je voulais innover, faire les choses différemment, explique Mme Wheeler. Je cherchais à m’épanouir dans l’immobilier sans pour autant me laisser définir par lui. »
Pour s’intégrer, elle a dû jongler entre le besoin d’être appréciée et celui d’être respectée, tout en visant le succès professionnel.
« J’étais une jeune femme dans un “boys club”, se souvient Linda Wheeler. Au début, je pensais devoir en faire partie ou devoir avoir leur soutien pour réussir. »
En quinze ans de carrière, Mme Wheeler n’a cessé de se découvrir. Elle s’efforce d’être authentique au travail, refusant de se plier aux stéréotypes sur les femmes en milieu professionnel.
« Au cours de mes premières années dans l’immobilier, confie-t-elle, je me disais souvent : “Ce rôle ne me correspond pas. Comment puis-je changer la donne ?” Je devais choisir : me laisser définir par le milieu ou façonner ma réussite à ma manière. »
Le défi du congé de maternité
S’imposer dans le secteur a souvent été ardu pour les femmes. Mais pour nombre d’entre elles, devenir mère et prendre un congé de maternité se sont révélés encore plus complexes.

« Annoncer ma grossesse à ma supérieure m’a beaucoup angoissée, se souvient Mary Chatson, directrice principale de la stratégie d’entreprise et de l’efficacité chez Teranet. Pourtant, c’était une femme. J’aurais dû être plus sereine, mais je craignais que ça freine ma carrière et que ça m’écarte de certains projets. »
Selon Mary Chatson, les entreprises doivent offrir aux femmes les moyens de s’épanouir professionnellement afin de créer un environnement de travail plus accueillant.
Lors de l’événement, le panel a mis en lumière la nuance entre égalité et équité. L’égalité consiste à donner la même chose à tous, tandis que l’équité vise à fournir des ressources adaptées pour atteindre un même objectif.
Dans le cadre du congé de maternité, l’équité pourrait se traduire par davantage de souplesse pour concilier travail et maternité, ou par un accompagnement renforcé pour faciliter le retour à l’emploi.
« L’équité, c’est simple, affirme Mme Chatson. C’est donner à chacun ce dont il a besoin pour réussir. »
Le panel a discuté de l’inquiétude de nombreuses femmes quant à l’impact du congé de maternité sur leur parcours professionnel. À leur retour, elles se sentent souvent débordées, devant à la fois rattraper leur retard et assumer leurs responsabilités parentales.
Veronica Love, vice-présidente senior du développement chez TMG The Mortgage Group et ex-présidente du conseil d’administration de PHC, peut en témoigner. « J’ai pris deux congés de maternité, et ils m’ont fait reculer d’au moins deux ans dans ma carrière. L’année qui suit le retour, on s’occupe encore d’un enfant d’un an et on doit jongler avec les services de garderie, qui manquent cruellement dans ce pays pour les tout-petits. Ce n’est donc pas équitable. »
Le panel a aussi souligné l’importance de normaliser le congé de paternité. Ça permettrait aux hommes de s’investir davantage dans les soins apportés aux nouveau-nés sans être dévalorisés au travail.
« Le congé de paternité se développe, mais reste stigmatisé, constate Veronica Love. Les hommes qui prennent autant de temps que les femmes sont encore jugés. Il y a encore des progrès à faire sur ce point. »
« Osez demander, car c’est le seul moyen d’obtenir ce que vous voulez »
Toutes les femmes du panel ont connu des situations où leur genre a nui à leur crédibilité professionnelle.
« Il faut le dénoncer, affirme Mary Chatson. Mettez le problème sur la table sans détour. »
Veronica Love reconnaît aussi l’importance pour les femmes de s’exprimer, mais elle s’inquiète souvent de la réaction des hommes face à son assurance.
« On m’a qualifiée de “rouspéteuse”, déplore-t-elle. Nos propres insécurités nous freinent : “Je ne peux pas insister, on me trouvera trop intense ou on me traitera de casse-pieds…” Même en tant que gestionnaires, nous nous retenons. »
Cependant, malgré ces craintes, Veronica Love souligne l’importance pour les femmes d’établir des limites claires et de dénoncer leur non-respect par les hommes au travail.
Linda Wheeler adopte une approche similaire. Elle s’exprime et tente d’engager le dialogue sur les raisons de cette différence de traitement.
Mme Wheeler ajoute : « Vous pourriez dire, “Expliquez-moi pourquoi ma proposition n’est pas prise au sérieux, ça m’intrigue.” La curiosité est un excellent moyen d’amener les autres à s’interroger sur leurs réactions ou leurs résistances. »
Chose certaine, le panel déplore que malgré les progrès des dernières décennies, les femmes doivent encore lutter pour s’affirmer et obtenir une juste rémunération.
« Nous avons fait du chemin, reconnaît Veronica Love. En 2015, les femmes gagnaient 75 cents pour un dollar masculin ; aujourd’hui, nous en sommes à 89 cents. »
Cependant, bien que l’industrie ait progressé pour réduire l’écart salarial, Veronica Love estime qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir.
« Si vous dirigez une entreprise, insiste Mme Love, la meilleure chose à faire est de nous rémunérer équitablement. »
Veronica Love encourage activement les femmes à réclamer de meilleures rémunérations si elles constatent des inégalités avec leurs homologues masculins ou si elles estiment être sous-payées pour le travail qu’elles font.
« Les femmes n’osent pas demander, constate Mme Love. Nous manquons d’assurance. Nous doutons de notre valeur ! Nous voulons faire nos preuves, mais même quand nous le faisons, l’argent ne suit pas toujours naturellement. »
« Osez demander ce que vous voulez, conclut Mme Love, car c’est le seul moyen de l’obtenir. »
Favoriser l’accès des femmes aux postes de direction
Il y a cinq ans, quand Veronica Love a rejoint The Mortgage Group, elle a constaté que l’équipe dirigeante ne comptait qu’une seule femme. Quand elle a soulevé cette question, alors qu’elle était en processus d’intégration, on lui a répondu que des femmes occupaient des postes de direction, mais qu’elles travaillaient toutes en coulisses plutôt que dans des fonctions visibles.

Intriguée, Veronica Love a cherché à comprendre pourquoi si peu de femmes occupaient des postes en première ligne.
Un recruteur lui a confié : « Nous avons essayé d’embaucher des femmes, mais elles n’ont pas été à la hauteur ou n’ont pas postulé. Je ne vois pas ce qu’on fait de mal. »
Cette conversation chez TMG a déclenché une réflexion sur les obstacles empêchant les femmes d’obtenir des postes de direction et sur les moyens de changer la donne.
Veronica Love a observé que les hommes se montrent souvent trop sûrs d’eux en entretien, tandis que les femmes ont tendance à sous-estimer leurs compétences. Pour combler cet écart, elle encourage les hommes et les femmes à devenir des alliés et incite les femmes à oser se mettre en avant et à postuler.
« Le leadership est à la fois exaltant et effrayant, reconnaît Linda Wheeler. Il faut avoir le cran de se démarquer et de faire entendre sa voix. »
Même s’il reste bien des progrès à faire pour offrir aux femmes les mêmes opportunités et la même crédibilité qu’aux hommes, tous les panélistes s’accordent à dire que les femmes sont désormais prises plus au sérieux. Et chacun espère que cette tendance se poursuivra pour la prochaine génération.
« Je vois de plus en plus de femmes s’affirmer et oser s’exprimer, en faisant confiance à leur intuition, se réjouit Linda Wheeler. Le “club des vieux garçons” tel qu’il existait autrefois tend à disparaître. »
Last modified: novembre 5, 2024