Les dernières inondations de Toronto sonnent l’alarme. Elles démontrent la multiplication des crises météorologiques et l’urgence de parer leur impact sur le crédit à l’habitation.
Les catastrophes naturelles s’intensifient. Incendies, inondations, on les voit se multiplier. Leur montée bouleverse le crédit immobilier. Elles tempèrent l’appétit de risque des prêteurs et pèsent sur le budget des propriétaires.
Les catastrophes naturelles ont frappé fort, au Canada, en 2023. Leurs dommages assurés ont atteint 3,1 milliards de dollars. C’est la quatrième pire année jamais enregistrée à ce chapitre.
La firme d’experts Catastrophe Indices and Quantification Inc. cite des chiffres alarmants : les réclamations d’assurance ont bondi ces dernières années. Entre 2009 et 2021, elles ont atteint en moyenne 1,96 milliard par an, dont plus de la moitié à cause des inondations. C’est une hausse spectaculaire par rapport à la période 1983-2008, où les réclamations liées au climat se cantonnaient dans les 250 à 450 millions de dollars par année.
La météo se déchaîne
Le Canada a connu une année éprouvante. Une vague de froid a tétanisé l’Atlantique. L’Ontario et le Québec ont fait face à un verglas printanier. La Nouvelle-Écosse a connu tantôt les feux de forêt et tantôt les inondations. Quant aux Prairies, elles ont essuyé de violentes tempêtes estivales. Et comme si ce n’était pas assez, des incendies ont dévasté l’Okanagan et le Shuswap en Colombie-Britannique. Enfin les Territoires du Nord-Ouest ont dû lutter bec et ongles contre les feux de Behchokǫ̀-Yellowknife et de Hay River.

Image : Bureau d’assurance du Canada
Toronto n’est pas en reste avec ses dernières pluies diluviennes. Près de 100 mm d’eau se sont abattus sur la ville. Résultat : des inondations massives. Des routes et des sous-sols submergés. Le Bureau d’assurance du Canada estime les dégâts à un milliard de dollars. Habitations et commerces ont été durement touchés.
Le Québec n’est pas épargné. Le sud de la Belle Province a subi les dernières ardeurs de l’ouragan Beryl la semaine précédente. Montréal a enregistré des précipitations record qui ont submergé de vastes zones.
Le gouvernement québécois a récemment publié des estimations alarmantes. Selon de nouvelles cartes hydrographiques, près de 77 000 maisons de la province pourraient se situer en zone inondable au lieu des 22 000 jusque là répertoriés. Le problème menacerait 2 % de la population.
Craig Stewart du Bureau d’assurance du Canada alerte tous les Canadiens. Ce vice-président Changements climatiques et Questions fédérales souligne l’urgence de la situation. « Les catastrophes climatiques s’intensifient et se multiplient, prévient-il Même les chanceux qui n’ont encore rien subi doivent s’inquiéter. Les maisons et la santé financière de plus de 1,5 million de Canadiens sont en jeu. »
Assureurs et prêteurs hypothécaires s’inquiètent
La fréquence et la gravité croissantes des crises météorologiques incitent à une action urgente dans le secteur hypothécaire.
La SCHL tire la sonnette d’alarme dans son dernier rapport annuel. Feux de forêt et inondations deviennent prioritaires. Ils impactent stratégies, opérations et finances du secteur. Face à cette réalité climatique, prêteurs et assureurs canadiens s’adaptent.
Les risques climatiques touchent de multiples aspects du secteur immobilier. Ils affectent les crédits, les marchés et les opérations. En 2023, la SCHL a évalué ces risques de façon qualitative. Elle a intégré ses conclusions dans ses rapports trimestriels de gestion des risques.
Parmi les principales préoccupations de la SCHL :
- Augmentation des défauts de paiement des emprunteurs et baisse de la valeur des propriétés en raison de phénomènes météorologiques extrêmes.
- Hausse de la demande de logements abordables en raison de la migration hors des zones à risque.
- Chaînes logistiques tendues et coûts accrus de la reconstruction des infrastructures endommagées.
La SCHL reconnaît sa vulnérabilité face aux inondations. Son bilan révèle une exposition significative. Une part importante de ses prêts et soldes assurés se trouve en zones à haut risque. Ces zones sont menacées par les crues fluviales et côtières.
En se concentrant sur les propriétés avec une probabilité d’inondation d’au moins 1 sur 100 ans, la SCHL estime que ses expositions sont les suivantes :
- Propriétaires d’habitations avec assurance prêt hypothécaire : 4,2 % des prêts assurés (34 717 sur 830 831) et 3,9 % des soldes en vigueur assurés (6,7 G $ sur 172 G $ )
- Habitations multifamiliales : 3,1 % des prêts assurés (834 sur 26 979), représentant 3,3 % du solde total assuré (4,25 milliards de dollars sur 129,5 milliards de dollars).
- Financement hypothécaire : 4,3 % de tous les prêts titrisés en vertu de la LNH (93 182 sur 2 147 646) et 4,2 % du solde global des prêts titrisés (19 milliards de dollars sur 453 milliards de dollars).

Impact des crises météorologiques sur le prix des habitations
Les crises météorologiques bouleversent l’évaluation immobilière. Les inondations diluviennes, surtout, affectent profondément le marché du logement. Leur impact sur les prix et les ventes se fait de plus en plus visible.
Le Centre Intact d’adaptation au climat de l’Université de Waterloo a publié un rapport édifiant. Il analyse l’impact des inondations sur l’immobilier. Dans les six mois suivant une inondation, le marché local subit des changements majeurs :
- Réduction de 8,2 % du prix de vente moyen des maisons ;
- Allongement du délai de vente de 19,8 % ;
- Réduction de 44,3 % du nombre de maisons mises en vente.
Une maison moyenne canadienne valait 713 500 $ en décembre 2021. Dans un quartier frappé par des inondations catastrophiques, son prix chuterait à 654 993 $. Cette « décote » de 58 507 $ reflète l’impact concret des catastrophes naturelles sur l’immobilier local.
Dans la plupart des cas, l’impact sur le marché immobilier est temporaire.
Doug Farmer de First National Financial rassure. Ce vice-président de la financière First National affirme que les impacts des événements météorologiques extrêmes sur la valeur des maisons sont temporaires : « Avec le temps, les propriétaires réparent les dégâts, le quartier retrouve sa réputation et les prix se rétablissent. »
Le rapport du Centre Intact nuance cette perspective optimiste. Certaines zones subissent des catastrophes presque chaque année. Pour ces régions, les effets sont plus durables. Une étude sur Fredericton, au Nouveau-Brunswick, le confirme. Les inondations régulières y affectent le marché immobilier à long terme.
« Les villes inondées presque chaque année pendant une décennie subissent des effets chroniques, note le rapport. Leur marché immobilier est affecté de façon permanente. Cette situation contraste avec les zones touchées une ou deux fois par décennie. La fréquence élevée des inondations laisse donc des traces indélébiles sur l’immobilier local. »
Le rapport apporte une lueur d’espoir pour les prêts hypothécaires résidentiels. Dans deux villes canadiennes étudiées, les inondations catastrophiques n’ont pas eu d’impact majeur ou durable sur les arriérés et reports de paiements.
Les localités inondées ne montrent pas plus d’arriérés ou de reports hypothécaires que les autres. Leur taux reste dans les normes du marché. Ce constat suggère que d’autres facteurs influencent davantage les défauts de paiement.
Le rapport présente des statistiques rassurantes sur l’impact des inondations. Dans les zones touchées et les régions de contrôle, les arriérés et reports de paiements hypothécaires restent limités. Ils varient de 0,32 à 7,07 pour 1 000 logements sur six mois. Le pire scénario atteint seulement 1,18 cas pour 1 000 logements par mois.
« Les conséquences des inondations paraissent mineures en ce qui concerne les arriérés hypothécaires, note le rapport, en particulier si l’on considère que les impacts ne dureraient généralement que quelques mois après les inondations. »
Prêter dans les secteurs à risque
Les colères du climat n’affectent que temporairement les prix de vente. Cependant, ils modifient durablement l’attitude des prêteurs. L’appétit pour le risque des institutions financières peut diminuer à long terme.
M. Farmer évoque les inondations de 2013 en Alberta. La plupart des maisons endommagées ont été réparées ou reconstruites. Les assurances et d’autres financements ont permis cette remise en état. Les communautés ont renforcé leurs défenses contre les inondations. Malgré ces efforts, certains prêteurs restent hésitants à s’engager.
« Certains prêteurs évitent ces endroits, explique M. Farmer. Ils ont pour devoir de protéger l’argent des investisseurs et des épargnants. Ils ont défini leurs critères de risque en conséquence. » Il reste quand même d’autres options de prêt hypothécaire dans ces régions, tant que l’acheteur est en mesure d’obtenir une assurance appropriée.
Hali Noble, vice-présidente chez Fisgard Asset Management, explique son approche : « Nous, les prêteurs, avons tous nos lignes rouges, des facteurs de risque à examiner de plus près. Certaines localités ont eu beaucoup de problèmes au cours des dernières années avec les incendies de forêt, mais nous pouvons prêter tant que nous sommes couverts par une assurance appropriée et que nos conditions de financement sont respectées. »
Mme Noble souligne qu’aucun prêteur ne financerait un prêt hypothécaire sans assurance adéquate : « Ces polices d’assurance jouent un rôle crucial, poursuit-elle. Ce sont cespolices qui définissent la couverture offerte et protègent à la fois le prêteur et notre investissement hypothécaire. »
Certains prêteurs réévaluent leurs pratiques de prêt dans les zones exposées aux intempéries.
En février, le Mouvement Desjardins a révisé ses critères de prêt. Il ne financera plus l’achat de propriétés situées dans certaines zones inondables. Cette décision, faisant suite aux inondations de 2017 et 2019, touchera notamment certains secteurs de l’Île-Bizard et de l’Île-Mercier au Québec.
« Les impacts des changements climatiques, y compris les dommages causés par l’eau, prennent de l’importance et causent des dommages substantiels », lit-on dans un communiqué de Desjardins.

Aide aux propriétaires touchés par les intempéries
Les propriétaires touchés par les inondations et les incendies de forêt comptent généralement sur les compagnies d’assurance pour couvrir les coûts de réparation ou de reconstruction de leur maison. Cependant, des dépenses supplémentaires au cours de cette période peuvent avoir une incidence sur leur capacité à respecter leurs échéances de paiement.
M. Farmer note que de nombreuses entreprises ont mis en place des structures pour aider les propriétaires à traverser ces moments difficiles. Ces mesures peuvent consister à retarder les paiements hypothécaires et à les ajouter au capital ou à prolonger la période d’amortissement, selon la situation et les besoins financiers de la personne. « Personne ne veut voir quelqu’un perdre sa maison, déclare M. Farmer. Il y a donc de nombreux véhicules en place pour aider les gens à traverser ces moments difficiles. »
L’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) a établi des lignes directrices pour les banques souhaitant apporter un soutien personnalisé aux personnes éprouvant de la difficulté à rencontrer leurs paiements hypothécaires en raison de catastrophes naturelles :
- Report des paiements hypothécaires : Les propriétaires peuvent retarder les paiements hypothécaires pour une période précise, habituellement jusqu’à quatre mois.
- Période d’amortissement prolongée : Prolonger la période d’amortissement pour réduire les paiements mensuels, bien que cela puisse augmenter le total des intérêts payés sur la durée du prêt hypothécaire.
- Modalités particulières de paiement : Réduction temporaire des versements hypothécaires ou capitalisation des paiements manqués et des coûts connexes.
De plus, les institutions financières sous réglementation fédérale devraient proposer de manière proactive des mesures d’allègement, telles que la suppression des frais de retard et ne pas signaler les paiements manqués aux bureaux de crédit si des mesures d’allègement sont en place.
Ces mesures aident à alléger le fardeau financier des propriétaires, en veillant à ce qu’ils puissent entretenir leur maison pendant les périodes de rétablissement.
Atténuer les risques causés par les événements climatiques extrêmes
Les événements climatiques extrêmes, notamment les inondations, préoccupent de plus en plus les Canadiennes et Canadiens en raison de leurs impacts sur les propriétés résidentielles. Plusieurs stratégies et ressources permettent aux propriétaires et aux communautés de réduire ces risques :

Protection contre les inondations
Les banques, les coopératives de crédit, les courtiers immobiliers, les prêteurs et les assureurs dommages distribuent de plus en plus l’infographie « Trois étapes pour une protection rentable des habitations contre les inondations ».
Cette ressource conseille des mesures pratiques pour réduire le risque d’inondation du sous-sol. La plupart de ces mesures peuvent être mises en œuvre à un coût minimal et sans expertise particulière.
Programme d’évaluation des maisons pour l’adaptation au climat (PEMAC)
Lancé par le gouvernement fédéral du Canada en 2021, le PEMAC aide les propriétaires à naviguer dans le processus de modernisation en cas d’inondation. Il complète les audits énergétiques résidentiels d’ÉnerGuide et élargit les exigences d’admissibilité du programme de rénovation domiciliaire en profondeur de la SCHL et des subventions canadiennes pour des maisons plus vertes afin d’inclure davantage de mesures de résilience au changement climatique et d’atténuation des risques d’inondation.
Cartes des risques d’inondation
Les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux mettent à jour les cartes des risques d’inondation pour aider les urbanistes, les promoteurs, les ingénieurs et les agents de gestion des risques municipaux à identifier et à atténuer les zones à risque élevé. Ces cartes aident également les propriétaires à prendre des décisions éclairées pour limiter les risques d’inondation.
Scores de risque d’inondation
Un système proposerait un score de risque d’inondation pour les propriétés résidentielles selon l’adresse ou le code postal, similaire à celui des États-Unis. Ce score aiderait les propriétaires à comprendre et atténuer leur risque d’inondation.
Atténuation des risques d’inondation
Les localités peuvent utiliser les lignes directrices du Conseil canadien des normes et du Conseil national de recherches du Canada pour identifier les zones à haut risque et déployer des mesures d’atténuation. Certaines zones peuvent nécessiter des efforts d’assainissement plus importants et plus rentables.
« La ‘mauvaise nouvelle’ concernant l’impact des inondations sur le logement résidentiel, prévient le Centre Intact, c’est que les risques d’inondation liés au changement climatique auront un effet de plus en plus critique sur le marché de l’habitation, changement aggravé, dans certain cas, par un zonage des terres mal avisé. »
« La ‘bonne nouvelle’, conclut le rapport, c’est que le Canada a développé, ou est en train de développer, une multitude de ressources pour aider les propriétaires et les communautés à atténuer les risques. »
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Last modified: novembre 11, 2024